Si de nombreux parents aimeraient que leurs enfants soient polyglottes, le bilinguisme est pourtant un concept assez méconnu. Porteur de mythes et de préjugés, il suscite souvent la méfiance quant à ses bénéfices pour les enfants, en particulier en matière de développement du langage oral. Par exemple, on peut encore entendre qu’il faut « choisir une langue » ou que les enfants polyglottes sont plus susceptibles de développer des troubles du langage. En réalité, la confusion des langues est rare et un enfant est parfaitement capable d’entrer dans le langage avec plusieurs langues en tête. L’important, c’est la qualité de stimulations qu’il reçoit. Et vous, pensez-vous que le bilinguisme est un obstacle ou une chance ? Voici ce qu’il faut savoir !

C’est quoi le bilinguisme ? 

Une personne est dite bilingue lorsqu’elle est capable d’utiliser deux langues, voire de passer de l’une à l’autre, dans n’importe quelle situation de communication. Peu importe que cette personne utilise les langues séparément ou concomitamment, en « switchant » de l’une à l’autre, cela n’affecte pas ses compétences linguistiques. 

Il faut savoir que le niveau de langue peut être différent dans les deux langues pratiquées, selon les intérêts ou les périodes de la vie.

On définit 2 types de bilinguisme.

  1. Le bilinguisme précoce

Le bilinguisme précoce, c’est celui de l’enfant qui baigne dans deux langues depuis sa naissance. Il est dit « simultané » si la proportion d’exposition aux deux langues est équivalente. Si la personne induisant le bilinguisme est un proche de l’enfant (une nounou, un grand-parent, un professeur), on parle de bilinguisme précoce consécutif.

  1. Le bilinguisme tardif

On évoque le bilinguisme tardif lorsque l’enfant est exposé à une autre langue que sa langue maternelle (lors d’un déménagement à l’étranger, par exemple), après l’âge de 6 ans.

Parler deux langues : comment ça marche ?

À la naissance, l’enfant est baigné dans un environnement sonore assez indistinct, son oreille se forge à toutes les sonorités qui se présentent. Vers l’âge de 2 ans, il est capable de différencier les sonorités des deux langues auxquelles il est exposé. À cet âge, on n’observe pas de différence dans le développement du langage oral d’un enfant polyglotte, par rapport à un enfant monolingue.

Pour bien comprendre la problématique du bilinguisme ou du multilinguisme, il y a trois choses à avoir en tête. 

  • Le langage peut ne pas se développer de la même façon dans les deux langues (l’enfant peut dire voiture en français, mais pas car en anglais, par exemple). Il ne s’agit pas d’une défaillance, mais plutôt d’un processus. Le concept est construit. 
  • Le développement du langage n’est pas linéaire d’une langue à l’autre. Il y a ainsi des périodes où le développement du vocabulaire peut exploser dans une langue et pas dans l’autre. C’est un phénomène normal qui fait écho aux variations des acquisitions langagières chez tous les enfants polyglottes. Tout va s’équilibrer naturellement, si l’exposition aux deux langues demeure de qualité. 
  • Le « code switching » est normal chez les enfants (et chez les adultes aussi, d’ailleurs) bilingues. Bifurquer d’une langue à l’autre au milieu d’une phrase, trouver un mot dans une langue, puis repasser dans l’autre n’est pas le signe d’une défaillance du système linguistique, mais au contraire d’une certaine agilité cérébrale ! 

Mon enfant est bilingue : dois-je consulter une orthophoniste ?

L’orthophoniste prend en charge les pathologies du langage. Or, le bilinguisme n’en est pas une ! En revanche, être bilingue ne protège pas contre les troubles du langage oral. Si vous avez des doutes sur la construction des capacités langagières de votre enfant, n’hésitez pas à consulter une orthophoniste, elle saura faire la part des choses à l’issue d’un bilan. 

Une prise en charge sera engagée si un trouble du langage oral est mis en évidence. Cet accompagnement devra alors tenir compte des spécificités du bilinguisme dans l’accompagnement au développement du langage. 

Le plus souvent, le motif de consultation est le fameux « code switching » ou l’impression que l’enfant bilingue possède moins de vocabulaire qu’un enfant monolingue. Or,il est important de faire la distinction entre le vocabulaire passif (les mots que l’enfant comprend) et le vocabulaire actif (les mots que l’enfant sait utiliser à l’oral). Dans la majorité des cas, on s’aperçoit que l’enfant bilingue cumule dans ses deux langues deux niveaux de vocabulaire passif équivalents : il comprend ainsi autant de mots en turc qu’en français, par exemple. 

Par contre, on peut avoir l’impression qu’il exprime proportionnellement peu de mots en turc et peu de mots en français (le vocabulaire actif).  Mais, pour avoir une idée de son niveau de vocabulaire actif, il ne faut pas oublier de cumuler le nombre de mots prononcés, dans les deux langues ! Voiture en français et car en anglais comptent pour deux mots, par exemple.  

Rôle de l’orthophoniste auprès des enfants bilingues 

Si vous décidez de prendre un rendez-vous de bilan, assurez-vous de choisir une orthophoniste qui connaît la notion de bilinguisme. 

En effet, il sera nécessaire qu’elle comprenne les enjeux, non seulement linguistiques, mais culturels des langues utilisées. Les épreuves de test devront être proposées dans les deux langues de l’enfant, pour dépister un éventuel trouble du langage oral. En effet, s’il y a une pathologie du langage, celle-ci existe dans les deux langues. 

Un enfant bilingue a-t-il plus de risque d’avoir un retard de langage ?

Les études sur la question sont formelles, la réponse est non. 

Lorsque le volume et la qualité de l’exposition aux deux langues (maternelles ou non) sont satisfaisantes, on observe chez l’enfant bilingue les mêmes jalons que l’enfant monolingue dans le développement de son langage oral. 
Un enfant bilingue ou même multilingue peut en revanche être porteur d’un trouble du langage oral ou écrit, au même titre que n’importe quel autre enfant. Dans les cas de troubles développementaux, ce sont les conditions d’exposition au langage en général ou encore des paramètres neurologiques qui sont à investiguer. Mais, le bilinguisme n’est pas la cause.

Conseils aux parents pour faire du bilinguisme une chance 

Longtemps, les parents inquiets du développement langagier de leur enfant bilingue ont principalement entendu le conseil : « Un parent, une langue ». Autrement dit, stop au « code switching ». Maintenant, nous savons que ce n’est pas une stratégie efficace.

D’abord, parce qu’elle va à l’encontre d’une communication naturelle, pour les parents en premier lieu. Chez des personnes bilingues, le mélange entre les langues parlées est en effet un réflexe naturel qui permet de sauter d’un stock lexical à un autre, selon la situation et l’interlocuteur. Cela ne signifie aucunement qu’une langue soit défaillante par rapport à l’autre.

Ainsi, on a longtemps pensé qu’un enfant entendant ses parents « switcher » allait se mélanger les pinceaux. Or, aucune recherche ne pointe les bénéfices d’un monolinguisme « forcé ». La diversité linguistique et culturelle semble même être une chance, sur le plan cérébral et développemental. 

Nos conseils

  • Devant et avec votre enfant, parlez de la façon qui vous est la plus naturelle, en « switchant » entre plusieurs langues, si vous y avez recours spontanément. Ce qu’il copiera sur vous, c’est cette agilité mentale à passer d’une langue à l’autre. 
  • N’hésitez pas à informer les enseignants que votre enfant fait ce genre d’allers-retours entre ses deux langues et que ce n’est pas une attitude pathogène. 
  • La langue que vous partagez avec votre enfant doit être porteuse d’affection, de jeux, de chants, d’histoires. Voilà comment il en tirera le plus de bénéfices. Alors, communiquez encore et encore, sans vous sentir entravé ou en vous forçant à utiliser une langue que vous ne maitrisez pas bien. 
  • Fournissez à la nounou ou à l’enseignant les quelques mots que votre enfant utilise dans son autre langue, pour qu’il soit compris, au moins un minimum, le temps qu’il s’adapte ou développe ses compétences langagières.
  • N’oubliez pas que chaque enfant évolue à son rythme ! Et mieux encore, il évolue à des rythmes différents dans ses deux langues, lorsqu’il a la chance d’être bilingue ! 

Si vous êtes en situation de bilinguisme ou de multilinguisme au sein de votre famille, sachez que c’est une véritable chance pour votre enfant. Il développe des capacités langagières et cognitives pointues, qui seront un atout fort pour la suite de sa scolarité et de sa vie professionnelle. Pour construire un bilinguisme solide, offrez-lui des stimulations régulières et qualitatives dans ses deux langues, sans vous contraindre : chantez, racontez, jouez, riez ! C’est de cette façon qu’un enfant développe un langage oral harmonieux. Néanmoins, un enfant polyglotte n’est pas à l’abri d’un trouble du langage oral, que le bilinguisme ne doit pas occulter. Alors, si vous avez une inquiétude quant au développement du langage oral chez votre enfant, n’hésitez pas à consulter une orthophoniste formée au bilinguisme ! 

Sources et Ressources